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L’ensorcelante Istanbul ou la magie du Bosphore…

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imageAujourd’hui, Istanbul est une mégalopole que les Occidentaux, en particulier les moins disposés à son égard comme les Français, envieraient aux Turcs, tant la main de l’homme y a fait pousser de l’harmonie et du sens, le sens du beau et, bien sûr, de la p

Istanbul ! A quoi peut-elle bien ressembler ? C’est sans doute la question qu’on se pose avant de l’avoir vue. Ressemblerait-elle aux villes occidentales dont les images inondent en permanence nos petits écrans ? Son architecture, s’inspirerait-elle des caravansérails de l’ancienne route de la soie ? Face à une telle énigme, on répond tout au plus par des lieux communs ou, à la limite, par des hypothèses. Forcés, faute de mieux, de conjecturer, il reste l’alternative d’espérer pouvoir un jour prochain sauter le pas etc, etc. C’est ainsi que l’idée de nous y rendre ne nous quittera que lorsque le «miracle» se produit. Ne dit-on pas qu’un rêve devient réalité seulement lorsqu’il est exaucé. Enfin, les billets en poche, nous voilà en partance pour Istanbul.

A l’aéroport, curieux, nous nous sommes rapprochés d’un couple d’Algériens apparemment habitués de la ligne Alger-Istanbul pour en apprendre un peu plus sur la capitale de la Turquie. Peine perdue, car l’esprit focalisé sur d’autres problèmes à résoudre, le couple ne nous livre que ce que nous savions déjà, autrement dit pas grand-chose. Qu’à cela ne tienne. Regrettant notre initiative auprès du couple, frustrés par l’inconsistance des informations recueillies, nous résolûmes dorénavant d’éviter de nous enfermer dans quelque carcan que ce soit, qu’il fût intentionnellement complaisant ou trop étriqué pour être pris au sérieux. Mais rien n’est jamais tout à fait perdu tant que la volonté d’atteindre un but reste entière. Jusque-là nous avions tellement caressé de chimères qu’une compensation généreuse nous fut servie avant notre départ. Et c’est encore une fois Alger qui nous l’offre comme cadeau pour nous souhaiter bon voyage. Un cadeau sous forme de palette de soleil et de ciel bleu, tenant à la fois du rêve et de la féerie. Un présent tombant à pic et ô combien précieux après les fortes pluies de la semaine précédente. A la porte d’embarquement, notre regard nous permit de noter que l’aéronef de la Turkish Air Lines ne repartait pas les sièges vides vers Istanbul. Nous étions vendredi, ce qui nous donna l’impression que la sérénité du repos hebdomadaire s’était glissée entre nous, pour faire partie du voyage. Les ceintures attachées et les recommandations sécuritaires du personnel de bord faites, place au rêve et au franchissement des fuseaux horaires. Quelques minutes et nous nous retrouvons entre ciel et terre, cap sur El-Bab-El-Ali (1)
Trois heures et 10 minutes plus tard, tournoyant comme un aigle «au-dessus d’un nid de coucous» à cause, selon toute vraisemblance, d’un tarmac encombré d’avions de toutes provenances, notre aéronef dut se plier aux règles de conduite générale pour se trouver un coin de tarmac et y atterrir. Puis, après deux survols au-dessus de la ville, l’avion actionne son train d’atterrissage. Et, nous touchons le point d’impact avec seulement cinq minutes de retard sur l’horaire prévu. L’atterrissage fut mené avec une dextérité saisissante, un chef-d’œuvre que les connaisseurs nomment kiss-landing. Mais hélas, aucun des passagers n’a ressenti le besoin d’applaudir l’exploit. Réputés mondialement, les pilotes turcs s’en sortent toujours gagnants face aux éléments, nous confie, au débotté, un guide voyagiste à qui nous avions vanté l’exploit. Sous le ciel noir d’Istanbul, il pleuvait.
TOHU-COHU À L’ALGÉRIENNE
Malheureusement, notre joie d’avoir atterri sans encombre va aussitôt s’évanouir. La raison ? Un autre spectacle va nous surprendre qui nous attendait, cette fois, à l’intérieur de l’avion. En effet, à peine l’appareil a-t-il touché terre que, micro ouvert au maximum, la cheftaine du personnel de cabine se mit à crier des ordres, poliment mais fermement, en ordonnant, en trois langues (arabe, français et anglais) les passagers de rester assis «jusqu’à l’arrêt complet de l’aéronef». Elle cherchait visiblement à ce que les paramètres de répartition de la charge, fret et passagers compris, restent stables pour éviter que le centre de gravité de l’avion ne se déplace sous le poids des voyageurs et leur va-et-vient à la recherche de «leurs cabas». Ceci d’un côté. De l’autre, il nous avait semblé qu’une force abyssale, une sorte de souffle venu du fond des âges s’était déchaînée poussant les passagers à courir vers la sortie de l’appareil dans une cohue inextricable. Un mouvement qu’on ne peut s’expliquer que par un taux d’adrénaline réprimé tout au long du voyage et qui, reconverti en pulsions imprévisibles, était devenu incontrôlable, poussant des groupes d’individus à sortir de l’appareil par grappes entières, donnant l’impression qu’un malheur imminent était à craindre. Une histoire de fous. But avéré de ce cirque ? C’était à qui arriverait le premier au contrôle de police. Un tohu-bohu inacceptable, indigne en tout cas d’un Algérien normalement constitué. Nous voici à présent tout près du but. Alors qu’en sortant de l’aérogare, on s’attendait à voir surgir devant nous une ville rongée par la lèpre du vieillissement, comme il en existe un peu partout ailleurs, nous fûmes accueillis, le mot juste serait éblouis, par un champ de lumières dont la féerie était réfléchie sur une superficie sans bornes. Par un temps sans nuages, la vision de la ville aurait été plus étourdissante encore, à en croire le guide qu’on venait de nous affecter. Mais comme la nuit était déjà tombée, rendant quasiment invisibles les basses constructions, il n’apparaissait de la ville et nettement que les hautes bâtisses éclairées intensément pour répondre aux exigences de la navigation aérienne de nuit.
KONSTANTINIYYE OU LE SENS DU BEAU
Que nous apprennent les manuels d’histoire ? Qu’en 1927, Istanbul n’était peuplée que de 100.000 habitants. Aujourd’hui elle en compte plus de 15 millions. Comment a-t-elle pu intégrer dans ses murs autant de monde en un si court laps de temps ? Certainement pas en bayant aux corneilles mais par la volonté politique, le travail et un savoir-faire acquis au fil du temps. Aujourd’hui, Istanbul est une mégalopole que les Occidentaux, en particulier les moins disposés à son égard comme les Français, envieraient aux Turcs, tant la main de l’homme y a fait pousser de l’harmonie et du sens, le sens du beau et, bien sûr, de la productivité. Et à tous ces titres, on se retrouve plutôt libéré du carcan perpétuant une Turquie sous-développée, nous qui avions pris, à un moment donné, pour argent comptant la situation décrite par Yechar Kamal dans «Memed le Mince», alors engagé dans une croisade sans merci contre les autorités territoriales d’Anatolie. En arrivant à Istanbul, c’est le contraire que l’on découvre, autrement dit, le jour plutôt que la nuit.
Byzance, Constantinople, Konstantiniyye, Istanbul, les dénominations de la «seconde Rome»(2), principale agglomération de la Turquie actuelle, ont changé au fil des siècles et varient encore selon les auteurs et les points de vue. Mais, par delà ces fluctuations onomastiques, une réalité demeure, celle d’un organisme urbain remontant au VIIe siècle avant J.C et bénéficiant d’un site et d’une situation remarquables, diversement investis et réaménagés à travers les siècles. Ce site combinant l’acropole de la péninsule historique (site byzantin en l’occurrence) – une des 7 collines sacrées de la ville antique – dominant à plus de 40 mètres l’extraordinaire abri naturel qu’offre la Corne d’or, une ria (un couloir naturel) de 6 km de profondeur sous le fil de l’eau, et l’entrée du Bosphore (ou son débouché sur la mer de Marmara).
Quant au Bosphore, vaste déchirure structurale de près de 30 km de long, il relie la mer Noire à la mer de Marmara (petite mer intérieure de 11 mille km2, fermée à l’ouest par le détroit des Dardanelles), un lieu convoité tout au long du conflit Est-Ouest, par l’ex-Union Soviétique qui, enfermé dans le gel du glacis des immensités de son voisinage pré-arctique, n’a jamais cessé de caresser la Turquie dans le sens du poil pour obtenir d’elle un passage, par le détroit des Dardanelles, en direction des mers chaudes, c’est-à-dire la Méditerranée. En vain ! A elle seule, la situation géographique de la Turquie nous éclaire sur les raisons qui, dès 1945, ont poussé les successeurs de Kemal Atatürk d’entrer de plein-pied dans l’Organisation militaire de l’Atlantique Nord, le NATO ou, si vous préférez, l’OTAN.
L’ÎLE DES PRINCESSES
Entrons, à présent, dans la cité et contentons-nous d’apprécier. Pour éviter le choc, nous nous en remettons aux guides mis à notre disposition par les voyagistes. Cela se passe en général le lendemain de chaque arrivée. Habitué aux
touristes algériens, notre guide, un Kurde d’une trentaine d’années (6 millions de Kurdes sont citoyens d’Istanbul) s’est forgé depuis quelques années, une véritable pédagogie à leur contact. Ce jour-là, dans son programme, l’entreprise de voyagiste où il travaille nous avait organisé une randonnée à travers la mer de Marmara que nous traverserons pour nous rendre dans l’île la plus réputée de l’autre rive de la mer de Marmara, la rive antique. L’île des princesses s’appelait à l’origine l’île des Princes.
Mais depuis qu’Atatürk a installé son peuple dans la laïcité et ses successeurs l’ont maintenue vivante, la femme turque prend souvent le pas sur l’homme pour se réapproprier sa part d’égalité encore confondue dans celle du mâle. A quoi ressemble l’île des Princesses ? Pour ne pas sombrer dans les comparaisons stériles, disons que c’est un quartier conçu à l’échelle d’une colline, un territoire où se combine harmonieusement un bâti plutôt discret, fut-il chèrement acquis, et une forêt foisonnante d’essences diverses, le tout ceint par une mer connaissant rarement le déchaînement des éléments des grands océans de la terre. A l’instar des autres collines habitées, celle des princesses s’anime les samedis et dimanches, autrement dit pendant le week-end. A l’île des princesses, on s’y rend par bateau. C’est ce que nous avons emprunté. Et c’est un vrai plaisir ! Dans l’île, en revanche, le relais est pris par des dizaines de calèches, une activité privée prise en charge par les municipalités moyennant la protection d’un salaire minimum aux conducteurs de calèches. Il faut pratiquement compter toute une journée pour s’imprégner des milliers d’images qui défilent ainsi sous les yeux du touriste pour peu que celui-ci sache distinguer le sublime de la banalité. Et l’île des Princesses n’en est sûrement pas une. Retour au centre d’Istanbul.
Il est environ 18 heures. Le temps de changer de vêtements et de se rafraîchir et nous voilà de nouveau dehors. Mais cette fois, sans guide ni rose des vents. Dans ces cas d’espèce, n’ayez crainte, les Algériens savent y faire. Une carte de l’hôtel où l’on gîte dans la poche, pour ne pas perdre son temps à essayer de retrouver son chemin au pifomètre et une certaine diplomatie pour demander des renseignements aux gens sans les agacer. Dans l’avion, la veille, nous nous sommes souvent demandés où pouvait bien se situer le grand bazar d’Istanbul. Question que nous résoudrons le lendemain dans la journée. C’est vrai que quand on se réfère à l’immensité de la ville, l’on ne sait pas comment s’y prendre. Mais grâce aux passants, le mystère entourant le bazar fut vite dissipé. Nous habitions le quartier Alélé, un quartier qui donne l’impression que toute la confection fabriquée en Turquie y est vendue. Un quartier où l’on vend en gros même aux non-grossistes. Le lendemain dans la matinée, en passant sur le grand boulevard, nous repérâmes un bazar, un tout petit, ayant ouvert ses portes au IXXe siècle mais il était trop petit par rapport à l’idée que l’on se faisait de l’autre, celui ouvert peu après la chute de Constantinople dans l’escarcelle ottomane.
LE BAZAR : UNE CURIOSITÉ DE 4000 COMMERÇANTS
Le surlendemain, j’avais manqué volontairement la visite collective à Bab-El-Ali, autrement dit à Topkapi pour me rendre au Bazar. Kapi : bab, Ali : la plus haute. Attention, il faut être d’une bonne constitution physique et morale pour ne pas tomber en pamoison devant le bazar et surtout quand on y entre. Comme la place me manque pour narrer au détail près la richesse architecturale du lieu, je n’en dirais que l’essentiel. Le bazar d’Istanbul est avant tout un marché couvert dont la construction remonte au XVe siècle. Nullement délabré, comme certains l’avaient cru après la chute de l’empire ottoman au début du XXe siècle, les dirigeants de la mairie d’Istanbul le bichonnent comme un objet rare. Le bazar, comme son nom ne l’indique pas, est une puissance économique et, forcément, politique qui compte plus qu’on croit pour la défense des intérêts de la Turquie moderne. S’étendant sur plus de 55.000 mètres carrées, il est traversé par plusieurs galeries marchandes. C’est là qu’on vend et achète tout ce que la Turquie fabrique ou transforme : des objets qui vont du tissu de luxe et de confection et de l’électronique jusqu’à l’or, un métal sur lequel le bazar et la ville d’Istanbul ont bâti leur réputation il y a des siècles déjà. De marchands, il en compte environ quatre mille en permanence qui brassent des millions d’euros par jour.
En plus de ses multiples activités marchandes, le bazar constitue en soi aussi une atmosphère qu’on conserve en mémoire longtemps après l’avoir visité. Sorti de là, vous bifurquez à droite et vous êtes placé en face de l’Université d’Istanbul qui en compte près d’une dizaine. Une splendeur d’architecture abritant des milliers d’étudiants et de chercheurs. L’attrait d’Istanbul ne se limite pas à ces seules catégories. La ville compte dans son patrimoine toutes sortes d’objets et d’édifices dont les Turcs son fiers de parler. C’est vrai, ils parlent aussi de l’ancienne réserve d’eau de la ville construite durant la Konstantinyyé sise dans un quartier que l’on continue d’appeler Taksim. Mais le lieu où l’eau de mer vous donne le tournis c’est dans le Bosphore que nous avons visité jusqu’au pont de la mer Noire où se trouve l’édifice été construit en 1452 pour installer son siège sur Constantinople dont le maître de l’ouvrage fut Mehmet le Conquérant qui a eu raison de la puissance byzantine en 1453. Mehmet était âgé de 21 ans. C’est également lui qui construisit dix ans plus tard, qui comptera plusieurs édifices royaux et notamment Topkapi, le siège du pouvoir ottoman. Plus tard c’est également lui qui construit la mosquée bleue en invitant les fidèles à venir y prier parce qu’il n’était pas d’accord avec ceux qui avaient converti l’église byzantine Yama Sophia en mosquée par respect aux «gens du Livre». La source d’inspiration que peut représenter Istanbul pour un étranger inclinant à l’histoire, est riche et intarissable. Encouragé à rapporter quelques souvenirs et quelques aspects de la ville d’Istanbul, les plus marquants dans un écrit ne dépassant guère les 5.000 caractères, j’en suis malheureusement à plus de 16.000. La sagesse voudrait que je m’arrête même si j’ai des milliers de choses à dire et que j’ai vues d’elle. Je le fais hélas à regret. Mais je le fais quand-même.
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